10.10.03
Constitution européenne et CIG
Je reviens sur ce sujet à la suite de l'installation, le week-end dernier, de la Conférence intergouvernementale qui doit adopter le futur traité. Trois sujets de désaccords ont plus particulièrement été évoqués: le nouveau système de calcul de la majorité au sein du Conseil des ministres, la composition de la Commission et le préambule (référence au christianisme ou non?).
Pour des étudiants en droit constitutionnel suisse, tout cela paraîtrait du rabâchage de questions connues:
-- si la Suisse, comme les Etats-Unis, a un système qui requiert à la fois une majorité du peuple (ou de ses représentants) et une majorité des entités qui composent l'Union (ou de leurs représentants), l'Allemagne a un système qui pondère l'expression des entités en fonction de leur taille;
-- mutatis mutandis, la problématique de la Commission est la même que celle de la composition du Conseil fédéral suisse (pouvoir exécutif): comment faire pour que, dans le cas de la Suisse, 23 entités (les cantons), de langues, cultures et religions variées, se trouvent équitablement représentées par 7 personnes -- sans oublier évidemment les critères de l'orientation politique et de la compétence personnelle (mais ce dernier point paraît avoir entièrement échappé à la Convention présidée par Valéry Giscard D'Estaing, j'y reviens dans un instant);
-- quant au préambule, je rigole: cela a fait les beaux jours d'une première commission de révision de la Constitution fédérale dans les années 70, puis de la révision qui a abouti à la nouvelle Constitution fédérale suisse, du 18 avril 1999 (outre l'allemand, l'italien et le romanche, elle est aussi disponible ici en anglais, arabe, espagnol et portuguais). En foi de quoi elle commence par: "Au nom de Dieu tout puissant!", ce qui ravirait sans doute Aznar, Krasniesky et Jean-Paul II.
A propos des deux premiers volets:
Depuis l'origine, la CEE devenue UE a un système de décisions prises à la majorité selon une pondération dont on ne sait s'il faut la qualifier de fruste (car elle est par définition grossière) ou de subtile (puisqu'elle vise à permettre des décisions majoritaires tout en évitant de marginaliser par trop certains partenaires). Le dernier avatar était le fameux traité issu du Conseil européen de Nice, dont il faut souligner que c'est à la diplomatie française et à l'obstination de Chirac et Jospin (qui n'avait alors pas attendu le président pour se montrer méprisant à l'égard des "petits pays") que l'on doit le résultat misérable. Si l'Espagne et la Pologne s'accrochent à leur surreprésentation de 27 voix chacun, le responsable en est Chirac qui a jugé intolérable que l'Allemagne ait un nombre de voix supérieur à la France: les quatre pays les plus peuplés ont donc chacun 29 voix, même si premier a 99 sièges au Parlement européen et les deux suivants 87...
Ce système de "voix", qui évoque la manière dont les gouvernements des Länder expriment leur vote au Bundesrat allemand (chambre haute du parlement), n'est cependant pas des plus transparents. La Convention a eu une bonne idée en proposant de le remplacer par quelque chose de plus clair: une voix par Etat, mais la majorité n'est acquise que si la population de ces Etats représente aussi au moins 60% de la population de l'Union. Manifestement, il s'agit d'un verrou en faveur des grands pays, qui atteindront ainsi plus facilement une minorité de blocage.
Une solution de compromis entre "Nice" et "la Convention" ne consisterait-elle pas simplement à renoncer à ce verrou? On dirait: la majorité des Etats représentant au moins 50% de la population de l'Union.
Sur la composition de la Commission: dans l'UE à 15, on a un système ou les cinq plus grands pays de l'Union désignent deux membres de la Commission et les autres un (même si ceux-ci ne sont en rien leurs représentants... quoique). Après l'élargissement à 23, la Convention propose une commission de 15 membres issus de pays différents (les autres fournissant chacun une sorte de suppléant observateur), avec un système de rotation rigide lors des remplacements. Cela revient à dire que la classe politique luxembourgeoise (non que je ne la tienne en haute estime!) devra produire, quantitativement, autant de membres de la Commission, sur une période statistique donnée, que l'Allemagne ou la Grande-Bretagne; cela veut dire aussi que, pendant des années, des pays comme l'Allemagne, la Grande-Bretagne ou la France pourront n'avoir aucun commissaire européen (et même simultanément si, comme c'est prévisible, ces trois pays se poussent dans la première fournée de la Commission new look et sont donc exclus de la suivante...).
A mon avis, c'est simplement absurde et intenable (ou c'est une manoeuvre des partisans de l'intergouvernemental et de la prééminence du Conseil européen et de son président permanent pour diminuer le statut de la Commission). Mais l'alternative consistant simplement à prévoir un commissaire par pays n'est pas beaucoup mieux.
Depuis 1848, la Suisse a un collège exécutif de sept personnes élues par le Parlement, dont la désignation est gouvernée par des règles non écrites aussi bien qu'écrites, et qui ont évolué avec le temps. Le souci linguistique, par exemple, n'est écrit nulle part, mais l'Assemblée fédérale a toujours maintenu 2 ou 3 latins pour 5 ou 4 alémaniques. Les "grands cantons" de Zurich et Berne n'ont perdu que tout récemment leur représentation continue au sein du Conseil fédéral. Et, après 150 ans, on vient d'assouplir la règle formelle qui interdisait plus d'un conseiller fédéral par canton pour permettre davantage de choix entre les personnes. Concrètement, lors d'une vacance (et le Conseil fédéral suisse, contrairement à la Commission européenne, n'est pas renouvelé en bloc mais au détail, en continu en quelque sorte), il faut empiler pas mal de critères pour être élu. Mais au moins la compétence peut aussi entrer en considération pour choisir entre plusieurs candidats: le système proposé par le Convention est tellement rigide qu'il n'en est pas question.
Ma proposition pour la Commission (et on a aussi déjà examiné en Suisse l'intérêt d'un système à deux étages, ou le collège pourrait par ailleurs s'appuyer sur un réservoir de ce que l'on appelle en Suisse des secrétaires d'Etat): un vrai collège de 12 personnes, avec comme seule règle qu'il n'y en ait pas deux de la même nationalité, auquel s'ajouteraient entre 15 et 20 commissaires délégués, sans règle particulière; et que l'on fasse confiance à la sagesse (et surtout au surmoi politique) du président désigné, des gouvernements et du Parlement européen pour veiller à une représentation judicieuse et équitable...
Pour des étudiants en droit constitutionnel suisse, tout cela paraîtrait du rabâchage de questions connues:
-- si la Suisse, comme les Etats-Unis, a un système qui requiert à la fois une majorité du peuple (ou de ses représentants) et une majorité des entités qui composent l'Union (ou de leurs représentants), l'Allemagne a un système qui pondère l'expression des entités en fonction de leur taille;
-- mutatis mutandis, la problématique de la Commission est la même que celle de la composition du Conseil fédéral suisse (pouvoir exécutif): comment faire pour que, dans le cas de la Suisse, 23 entités (les cantons), de langues, cultures et religions variées, se trouvent équitablement représentées par 7 personnes -- sans oublier évidemment les critères de l'orientation politique et de la compétence personnelle (mais ce dernier point paraît avoir entièrement échappé à la Convention présidée par Valéry Giscard D'Estaing, j'y reviens dans un instant);
-- quant au préambule, je rigole: cela a fait les beaux jours d'une première commission de révision de la Constitution fédérale dans les années 70, puis de la révision qui a abouti à la nouvelle Constitution fédérale suisse, du 18 avril 1999 (outre l'allemand, l'italien et le romanche, elle est aussi disponible ici en anglais, arabe, espagnol et portuguais). En foi de quoi elle commence par: "Au nom de Dieu tout puissant!", ce qui ravirait sans doute Aznar, Krasniesky et Jean-Paul II.
A propos des deux premiers volets:
Depuis l'origine, la CEE devenue UE a un système de décisions prises à la majorité selon une pondération dont on ne sait s'il faut la qualifier de fruste (car elle est par définition grossière) ou de subtile (puisqu'elle vise à permettre des décisions majoritaires tout en évitant de marginaliser par trop certains partenaires). Le dernier avatar était le fameux traité issu du Conseil européen de Nice, dont il faut souligner que c'est à la diplomatie française et à l'obstination de Chirac et Jospin (qui n'avait alors pas attendu le président pour se montrer méprisant à l'égard des "petits pays") que l'on doit le résultat misérable. Si l'Espagne et la Pologne s'accrochent à leur surreprésentation de 27 voix chacun, le responsable en est Chirac qui a jugé intolérable que l'Allemagne ait un nombre de voix supérieur à la France: les quatre pays les plus peuplés ont donc chacun 29 voix, même si premier a 99 sièges au Parlement européen et les deux suivants 87...
Ce système de "voix", qui évoque la manière dont les gouvernements des Länder expriment leur vote au Bundesrat allemand (chambre haute du parlement), n'est cependant pas des plus transparents. La Convention a eu une bonne idée en proposant de le remplacer par quelque chose de plus clair: une voix par Etat, mais la majorité n'est acquise que si la population de ces Etats représente aussi au moins 60% de la population de l'Union. Manifestement, il s'agit d'un verrou en faveur des grands pays, qui atteindront ainsi plus facilement une minorité de blocage.
Une solution de compromis entre "Nice" et "la Convention" ne consisterait-elle pas simplement à renoncer à ce verrou? On dirait: la majorité des Etats représentant au moins 50% de la population de l'Union.
Sur la composition de la Commission: dans l'UE à 15, on a un système ou les cinq plus grands pays de l'Union désignent deux membres de la Commission et les autres un (même si ceux-ci ne sont en rien leurs représentants... quoique). Après l'élargissement à 23, la Convention propose une commission de 15 membres issus de pays différents (les autres fournissant chacun une sorte de suppléant observateur), avec un système de rotation rigide lors des remplacements. Cela revient à dire que la classe politique luxembourgeoise (non que je ne la tienne en haute estime!) devra produire, quantitativement, autant de membres de la Commission, sur une période statistique donnée, que l'Allemagne ou la Grande-Bretagne; cela veut dire aussi que, pendant des années, des pays comme l'Allemagne, la Grande-Bretagne ou la France pourront n'avoir aucun commissaire européen (et même simultanément si, comme c'est prévisible, ces trois pays se poussent dans la première fournée de la Commission new look et sont donc exclus de la suivante...).
A mon avis, c'est simplement absurde et intenable (ou c'est une manoeuvre des partisans de l'intergouvernemental et de la prééminence du Conseil européen et de son président permanent pour diminuer le statut de la Commission). Mais l'alternative consistant simplement à prévoir un commissaire par pays n'est pas beaucoup mieux.
Depuis 1848, la Suisse a un collège exécutif de sept personnes élues par le Parlement, dont la désignation est gouvernée par des règles non écrites aussi bien qu'écrites, et qui ont évolué avec le temps. Le souci linguistique, par exemple, n'est écrit nulle part, mais l'Assemblée fédérale a toujours maintenu 2 ou 3 latins pour 5 ou 4 alémaniques. Les "grands cantons" de Zurich et Berne n'ont perdu que tout récemment leur représentation continue au sein du Conseil fédéral. Et, après 150 ans, on vient d'assouplir la règle formelle qui interdisait plus d'un conseiller fédéral par canton pour permettre davantage de choix entre les personnes. Concrètement, lors d'une vacance (et le Conseil fédéral suisse, contrairement à la Commission européenne, n'est pas renouvelé en bloc mais au détail, en continu en quelque sorte), il faut empiler pas mal de critères pour être élu. Mais au moins la compétence peut aussi entrer en considération pour choisir entre plusieurs candidats: le système proposé par le Convention est tellement rigide qu'il n'en est pas question.
Ma proposition pour la Commission (et on a aussi déjà examiné en Suisse l'intérêt d'un système à deux étages, ou le collège pourrait par ailleurs s'appuyer sur un réservoir de ce que l'on appelle en Suisse des secrétaires d'Etat): un vrai collège de 12 personnes, avec comme seule règle qu'il n'y en ait pas deux de la même nationalité, auquel s'ajouteraient entre 15 et 20 commissaires délégués, sans règle particulière; et que l'on fasse confiance à la sagesse (et surtout au surmoi politique) du président désigné, des gouvernements et du Parlement européen pour veiller à une représentation judicieuse et équitable...