13.3.04
Madrid: Le Temps... égal à lui-même
Hier, l'unique quotidien suisse de référence en langue française publiait un éditorial de Serge Enderlin sous le titre "L'abstraction de la terreur" dans lequel me frappe l'oblitération des victimes (à New York, à Washington, en Pennsylvanie) des attentats du 11 septembre 2001 -- comme d'ailleurs, en réalité, celles des attentats du 11 mars 2004.
"Al Quaida ou ETA?" L'auteur commence par regretter le bon temps où les attentats étaient fièrement revendiqués, les cibles faisaient sens (un juge ou une caserne, s'agissant de l'ETA). "De la même manière, l'attaque ignoble d'une base militaire italienne en Irak par des djihadistes sunnites répond à une logique militaire." L' "ignoble" ici paraît surtout avoir pour fonction d'atténuer la légitimité conférée à l'attaque, imputée, de manière rassurante, au sunnisme supposé de ses auteurs; mais quid alors des attaques contre l'ONU, contre une procession chiite, puis contre une procession sunnite?
"L'attentat, le geste terroriste, est devenu sa propre motivation, sa cause et son effet. La notion d'"auteur" du crime s'efface ainsi presque entièrement derrière le vertigineux spectacle de l'effroi. (...) L'ampleur inédite du carnage, la paralysie d'une métropole européenne par l'absolue violence représente une forme d'abstraction de l'horreur, ce qui la rend plus terrifiante encore (...) Mais à Madrid, comme avant à Bali ou à Casablanca, le terrorisme semble être devenu un mode d'expression en soi, la revanche du nihilisme sur la politique."
"Ampleur inédite" + absence de New York (plus de 3000 morts) dans l'énumération des précédents: évidemment c'était en Amérique, cible sans doute légitime...
"Cette motivation sans motifs débouche sur une impossibilité psychologique à intégrer la permanence de la menace autour de nous sans sombrer dans la psychose. (...)
La société démocratique est ainsi piégée dans l'intimité de son fonctionnement. Répondre à la terreur par le durcissement policier des Etats, "terroriser les terroristes"? C'est ce que font la plupart des démocraties occidentales depuis trois ans, avec peu de résultats. Le carnage de Madrid est là pour le prouver. Avec peu de résultat, mais aussi avec des dérives sécuritaires comme la chasse au faciès, comme la prison illégale de Guantanamo. Alors? Alors il faut intégrer le risque, c'est la seule façon de l'appréhender. Le terrorisme est devenu un accident de la route des démocraties. Il n'arrive pas seulement aux autres."
Telle est la conclusion du Temps: appeler "crime" (sans la précision qu'il s'agit, techniquement, d'un crime contre l'humanité, mais pour lui seuls sans doute les Etats-Unis, la Grande-Bretagne ou Israël peuvent être accolés à un tel vocable) puis banaliser au nombre des "choses de la vie" le terrorisme, et donner finalement plus d'importance aux "dérives" possibles qu'aux victimes d'un attentat réussi (présenté bien sûr comme un échec des autorités qui en partagent ainsi, en quelque sorte, la responsabilité avec les auteurs, mais sans mentionner tous les attentats déjoués depuis 2001 et même, en réalité, avant -- y compris, à Madrid, les trois bombes qu'une approche remarquablement professionnelle a désarmorcées alors qu'elles devaient exploser dans un deuxième temps, au milieu des sauveteurs). Décidément, Le Temps ne comprend toujours pas que c'est une guerre, et de longue haleine -- et pas une simple affaire pénale, entre policiers, juges, avocats et assurances, qui doit pour le surplus déranger le moins possible le reste de la société.
Et aujourd'hui c'est un éditorial de Luis Lema qui contient une analyse pour le moins curieuse:
"Que les attentats soient le fait d'ETA, et c'est toute la politique de José Maria Aznar – sa défense à outrance de "l'unité de l'Espagne et de son peuple" – qui serait en quelque sorte renforcée, au risque d'aggraver les tensions entre Madrid, la Catalogne et le Pays basque.
Qu'il s'agisse de la mouvance d'Al-Qaida, et ce serait au contraire un sérieux revers pour celui qui a voulu, seul contre tous, lier le destin de son pays à celui des Etats-Unis dans leurs menées guerrières en Irak."
En quoi le renforcement de la lutte contre le terrorisme basque (dénoncé massivement par ceux-là mêmes au nom duquel il est prétendûment mené) est-il de nature à menacer l'identité basque ou catalane, démocratiquement exprimée et jouissant, en Espagne, de toutes les garanties politiques et juridiques? Et quel fascinant renversement que de faire d'Aznar le responsable, en somme, d'un attentat d'Al-Quaida à Madrid!
COMPLEMENT DE 19H: Les voies du blog... C'est par Andrew Sullivan, qui le cite en anglais, que j'ai la satisfaction d'apprendre que Le Monde, lui, n'a pas perdu tout sens commun. Je n'ai fait que le commencer: la moitié du journal est consacrée à l'affaire!
"Al Quaida ou ETA?" L'auteur commence par regretter le bon temps où les attentats étaient fièrement revendiqués, les cibles faisaient sens (un juge ou une caserne, s'agissant de l'ETA). "De la même manière, l'attaque ignoble d'une base militaire italienne en Irak par des djihadistes sunnites répond à une logique militaire." L' "ignoble" ici paraît surtout avoir pour fonction d'atténuer la légitimité conférée à l'attaque, imputée, de manière rassurante, au sunnisme supposé de ses auteurs; mais quid alors des attaques contre l'ONU, contre une procession chiite, puis contre une procession sunnite?
"L'attentat, le geste terroriste, est devenu sa propre motivation, sa cause et son effet. La notion d'"auteur" du crime s'efface ainsi presque entièrement derrière le vertigineux spectacle de l'effroi. (...) L'ampleur inédite du carnage, la paralysie d'une métropole européenne par l'absolue violence représente une forme d'abstraction de l'horreur, ce qui la rend plus terrifiante encore (...) Mais à Madrid, comme avant à Bali ou à Casablanca, le terrorisme semble être devenu un mode d'expression en soi, la revanche du nihilisme sur la politique."
"Ampleur inédite" + absence de New York (plus de 3000 morts) dans l'énumération des précédents: évidemment c'était en Amérique, cible sans doute légitime...
"Cette motivation sans motifs débouche sur une impossibilité psychologique à intégrer la permanence de la menace autour de nous sans sombrer dans la psychose. (...)
La société démocratique est ainsi piégée dans l'intimité de son fonctionnement. Répondre à la terreur par le durcissement policier des Etats, "terroriser les terroristes"? C'est ce que font la plupart des démocraties occidentales depuis trois ans, avec peu de résultats. Le carnage de Madrid est là pour le prouver. Avec peu de résultat, mais aussi avec des dérives sécuritaires comme la chasse au faciès, comme la prison illégale de Guantanamo. Alors? Alors il faut intégrer le risque, c'est la seule façon de l'appréhender. Le terrorisme est devenu un accident de la route des démocraties. Il n'arrive pas seulement aux autres."
Telle est la conclusion du Temps: appeler "crime" (sans la précision qu'il s'agit, techniquement, d'un crime contre l'humanité, mais pour lui seuls sans doute les Etats-Unis, la Grande-Bretagne ou Israël peuvent être accolés à un tel vocable) puis banaliser au nombre des "choses de la vie" le terrorisme, et donner finalement plus d'importance aux "dérives" possibles qu'aux victimes d'un attentat réussi (présenté bien sûr comme un échec des autorités qui en partagent ainsi, en quelque sorte, la responsabilité avec les auteurs, mais sans mentionner tous les attentats déjoués depuis 2001 et même, en réalité, avant -- y compris, à Madrid, les trois bombes qu'une approche remarquablement professionnelle a désarmorcées alors qu'elles devaient exploser dans un deuxième temps, au milieu des sauveteurs). Décidément, Le Temps ne comprend toujours pas que c'est une guerre, et de longue haleine -- et pas une simple affaire pénale, entre policiers, juges, avocats et assurances, qui doit pour le surplus déranger le moins possible le reste de la société.
Et aujourd'hui c'est un éditorial de Luis Lema qui contient une analyse pour le moins curieuse:
"Que les attentats soient le fait d'ETA, et c'est toute la politique de José Maria Aznar – sa défense à outrance de "l'unité de l'Espagne et de son peuple" – qui serait en quelque sorte renforcée, au risque d'aggraver les tensions entre Madrid, la Catalogne et le Pays basque.
Qu'il s'agisse de la mouvance d'Al-Qaida, et ce serait au contraire un sérieux revers pour celui qui a voulu, seul contre tous, lier le destin de son pays à celui des Etats-Unis dans leurs menées guerrières en Irak."
En quoi le renforcement de la lutte contre le terrorisme basque (dénoncé massivement par ceux-là mêmes au nom duquel il est prétendûment mené) est-il de nature à menacer l'identité basque ou catalane, démocratiquement exprimée et jouissant, en Espagne, de toutes les garanties politiques et juridiques? Et quel fascinant renversement que de faire d'Aznar le responsable, en somme, d'un attentat d'Al-Quaida à Madrid!
COMPLEMENT DE 19H: Les voies du blog... C'est par Andrew Sullivan, qui le cite en anglais, que j'ai la satisfaction d'apprendre que Le Monde, lui, n'a pas perdu tout sens commun. Je n'ai fait que le commencer: la moitié du journal est consacrée à l'affaire!