18.5.04
Une guerre sans justice
C'est le titre d'une tribune que publie dans Le Monde de ce jour Monique Canto-Sperber, une philosophe française qui m'intéresse particulièrement par sa tentative de retrouver les racines libérales de la pensée socialiste.
Cet article parle évidemment de la guerre en Irak à la suite des révélations sur les exactions d'Abou Ghraib. Je n'en partage pas toutes les conclusions (en particulier sur la nécessité de la démission de Rumsfeld: et pourquoi pas de Bush?) mais sa lecture est particulièrement douloureuse dans la mesure où Monique Canto-Sperber ne se place pas une seconde dans le camp pacifiste / défaitiste. Une analyse implacable qui n'a pas besoin d'évoquer un prétendu mensonge sur les armes de destructions massives ou de chercher une mauvaise querelle sur l'imminence du danger que présentait Saddam pour se montrer sévère sur l'avant-guerre comme sur l'après-guerre.
Cette critique ne l'empêche nullement de rester lucide sur la suite, bien au contraire: elle ne préconise pas le retrait rapide des forces de la coalition ou leur remplacement hypothétique par l'ONU.
"La tragédie qui se déroule en ce moment en Irak ne concerne pas seulement les Etats-Unis. C'est tout l'Occident, ce sont tous les pays démocratiques, qui se trouvent eux aussi, bon gré, mal gré, embarqués en Irak. Car du jour où la guerre a commencé, les choix moraux ont changé. Nous avons tous été contraints de faire nôtres les buts de guerre américains : un Irak pacifié, démocratique et libre. Une déroute militaire en Irak aurait des conséquences dramatiques. Elle laisserait ce pays dans une situation désastreuse. Elle accroîtrait l'instabilité du Moyen-Orient. Elle condamnerait au discrédit toute intervention occidentale à venir.
(...)
C'est donc au gouvernement et à l'armée américains de se ressaisir. Intellectuellement et moralement. Avoir présenté des excuses est à mettre à leur crédit, à condition qu'ils ne se contentent pas de déplorer un état de fait mais assument leur responsabilité, de manière explicite, spectaculaire, radicale. Ce qui signifie : juger les auteurs des sévices, revoir les principes d'action inculqués aux soldats, renoncer aux abus, y compris ceux perpétrés à Guantanamo, remédier à la chaîne de commandement, à commencer par le secrétaire d'Etat à la défense, qui doit quitter son poste, quel que soit le coût politique de son départ.
L'Amérique court aujourd'hui un risque réel, et avec elle les pays qui se réclament des droits et de la liberté. Le risque de perdre toute crédibilité dans leurs motifs d'action et toute légitimité dans leurs interventions.
La guerre d'Irak avait une cause juste : la fin de Saddam. Mais la manière dont elle a été conçue, décidée, menée, en fait une guerre sans justice. L'Amérique doit réagir, avec toute l'énergie démocratique qui est la sienne, afin que d'injuste cette guerre ne devienne pas criminelle au regard de l'histoire.
L'administration Bush est comptable des mesures qu'elle prendra non seulement devant le peuple irakien et les citoyens américains, mais aussi devant tous ceux qui pensent que l'usage de la force est parfois légitime et que, dans la conduite de la guerre, les limites morales sont contraignantes."
Sur les leçons à tirer, lire aussi le sombre mais résolu billet d'un faucon de gauche, Oliver Kamm.
Cet article parle évidemment de la guerre en Irak à la suite des révélations sur les exactions d'Abou Ghraib. Je n'en partage pas toutes les conclusions (en particulier sur la nécessité de la démission de Rumsfeld: et pourquoi pas de Bush?) mais sa lecture est particulièrement douloureuse dans la mesure où Monique Canto-Sperber ne se place pas une seconde dans le camp pacifiste / défaitiste. Une analyse implacable qui n'a pas besoin d'évoquer un prétendu mensonge sur les armes de destructions massives ou de chercher une mauvaise querelle sur l'imminence du danger que présentait Saddam pour se montrer sévère sur l'avant-guerre comme sur l'après-guerre.
Cette critique ne l'empêche nullement de rester lucide sur la suite, bien au contraire: elle ne préconise pas le retrait rapide des forces de la coalition ou leur remplacement hypothétique par l'ONU.
"La tragédie qui se déroule en ce moment en Irak ne concerne pas seulement les Etats-Unis. C'est tout l'Occident, ce sont tous les pays démocratiques, qui se trouvent eux aussi, bon gré, mal gré, embarqués en Irak. Car du jour où la guerre a commencé, les choix moraux ont changé. Nous avons tous été contraints de faire nôtres les buts de guerre américains : un Irak pacifié, démocratique et libre. Une déroute militaire en Irak aurait des conséquences dramatiques. Elle laisserait ce pays dans une situation désastreuse. Elle accroîtrait l'instabilité du Moyen-Orient. Elle condamnerait au discrédit toute intervention occidentale à venir.
(...)
C'est donc au gouvernement et à l'armée américains de se ressaisir. Intellectuellement et moralement. Avoir présenté des excuses est à mettre à leur crédit, à condition qu'ils ne se contentent pas de déplorer un état de fait mais assument leur responsabilité, de manière explicite, spectaculaire, radicale. Ce qui signifie : juger les auteurs des sévices, revoir les principes d'action inculqués aux soldats, renoncer aux abus, y compris ceux perpétrés à Guantanamo, remédier à la chaîne de commandement, à commencer par le secrétaire d'Etat à la défense, qui doit quitter son poste, quel que soit le coût politique de son départ.
L'Amérique court aujourd'hui un risque réel, et avec elle les pays qui se réclament des droits et de la liberté. Le risque de perdre toute crédibilité dans leurs motifs d'action et toute légitimité dans leurs interventions.
La guerre d'Irak avait une cause juste : la fin de Saddam. Mais la manière dont elle a été conçue, décidée, menée, en fait une guerre sans justice. L'Amérique doit réagir, avec toute l'énergie démocratique qui est la sienne, afin que d'injuste cette guerre ne devienne pas criminelle au regard de l'histoire.
L'administration Bush est comptable des mesures qu'elle prendra non seulement devant le peuple irakien et les citoyens américains, mais aussi devant tous ceux qui pensent que l'usage de la force est parfois légitime et que, dans la conduite de la guerre, les limites morales sont contraignantes."
Sur les leçons à tirer, lire aussi le sombre mais résolu billet d'un faucon de gauche, Oliver Kamm.