16.7.04
Crédulité et bons sentiments
Bien sûr nous prêtons d'autant plus foi à un récit qu'il coïncide avec ce que nous pensons, que cela soit pour le redouter ou pour l'approuver: ainsi de l'agression antisémite d'une jeune femme par six jeunes gens noirs et maghrébins dans le RER de Sarcelles, tellement vraisemblable tant de tels faits sont courants.
Tout concourait à la dénonciation publique: le dégoût et la fureur par rapport à l'événement lui-même, mais aussi plus politiquement le souci de ne pas prêter le flanc à l'accusation de laxisme dans ce domaine, voire même le désir de marquer le coup pour faire prendre conscience de l'ampleur du problème. Une fois l'imposture révélée, tout le monde est perdant: non seulement bien sûr la jeune femme qui a inventé l'histoire, mais la lutte contre la judéophobie aussi, dont la réalité sera dès lors plus facilement niée par ceux-là même qui la nourrissent. Et même les "Noirs et Arabes" qui étaient les vilains désignés de l'histoire (auxquels Le Monde croit devoir adresser des excuses à la formulation à la fois contournée et excessivement large: "Nous en devons excuses aux jeunes des cités issus de l'immigration maghrébine ou africaine stigmatisés à tort") n'ont rien à gagner à être ainsi confortés dans un déni de réalité; car c'est aussi Le Monde qui rapporte, dans un reportage à Aubervilliers:
Ici aussi, tout le monde en fin de compte est perdant: les auteurs de ces accusations et ceux qui y ont cru et les ont répandues, mais aussi, inévitablement, les responsables politiques qui étaient leur cible, dont la crédibilité a souffert (pour certains, c'était évidemment le but), et à travers eux le respect de la culture démocratique, confrontée à la double attaque du populisme et du cynisme; plus encore, les Irakiens qui subissent le contre-coup direct, par défaut de soutien à la reconstruction, de la destabilisation de l'intervention qui est pratiquement un débat interne à la classe politique occidentale.
Tout concourait à la dénonciation publique: le dégoût et la fureur par rapport à l'événement lui-même, mais aussi plus politiquement le souci de ne pas prêter le flanc à l'accusation de laxisme dans ce domaine, voire même le désir de marquer le coup pour faire prendre conscience de l'ampleur du problème. Une fois l'imposture révélée, tout le monde est perdant: non seulement bien sûr la jeune femme qui a inventé l'histoire, mais la lutte contre la judéophobie aussi, dont la réalité sera dès lors plus facilement niée par ceux-là même qui la nourrissent. Et même les "Noirs et Arabes" qui étaient les vilains désignés de l'histoire (auxquels Le Monde croit devoir adresser des excuses à la formulation à la fois contournée et excessivement large: "Nous en devons excuses aux jeunes des cités issus de l'immigration maghrébine ou africaine stigmatisés à tort") n'ont rien à gagner à être ainsi confortés dans un déni de réalité; car c'est aussi Le Monde qui rapporte, dans un reportage à Aubervilliers:
Peau chocolat, Adeline, 20 ans, en BTS action commerciale, se rend chez sa cousine pour garder sa fille. Cette histoire de RER l'a confortée dans son sentiment de résignation: "On est fiché. On est grillé. Franchement, même moi j'ai cru que c'était des Arabes et des Noirs qui avaient agressé cette fille. Je ne sais plus quoi en penser."Je voudrais saisir l'occasion de ce climat favorable à la repentance, à l'examen de conscience et à la modération face aux emportements médiatiques pour suggérer que c'est exactement le même mécanisme qui a été à l'oeuvre dans la manière dont les insinuations de mensonges et de manipulations en vue de décider une intervention de la communauté internationale en Irak ont été reçues par le milieu médiatique bien-pensant: elles correspondaient trop à une méfiance acquise à l'égard des pouvoirs établis, aux ressorts de l'antiaméricanisme et de la culpabilisation vis-à-vis du tiers-monde pour ne pas être immédiatement prises pour argent comptant. Mais ici la démonstration de l'imposture intervient des mois plus tard, au travers de longs rapports complexes: pas d'aveu humiliant d'une femme doublement brisée, qui lève toute ambiguïté, mais Gilligan qui persiste et signe... Et pourtant il n'y en a pas eu qu'un, de ces récits mythomanes qui rencontrent une crédulité complice: que l'on se rappelle aussi les photos truquées du Daily Mirror, les photos provenant d'un site porno du Boston Globe, les extravagantes accusations à l'égard de Bush à propos de la recherche irakienne d'uranium en Afrique qui est aujourd'hui confirmée tant par l'enquête du Sénat américain que par celle de la commission Butler (affaire Wilson / Plame).
Sonia, adolescente ressent la même chose mais va plus loin. Près du commissariat d'Aubervilliers, elle explique, avec son léger accent "racaille", pourquoi Marie L. a accusé les "Noirs et Maghrébins". "Je comprends pourquoi les gens parlent des Arabes. La plupart des détenus dans les prisons sont des Arabes, ceux qui foutent le bordel dans les cités et en ville sont des Arabes, ceux qui braquent sont des Arabes. Je dis la vérité." Elle assène: "Et puis, c'est les Arabes qui agressent les juifs. Moi, j'ai vu mes potes le faire. Dès qu'ils voient un juif, ils lui crachent dessus sans explication. Comme ça, soi-disant parce qu'ils nous ont fait du mal il y a bien longtemps. C'est une bêtise, c'est n'importe quoi."
Ici aussi, tout le monde en fin de compte est perdant: les auteurs de ces accusations et ceux qui y ont cru et les ont répandues, mais aussi, inévitablement, les responsables politiques qui étaient leur cible, dont la crédibilité a souffert (pour certains, c'était évidemment le but), et à travers eux le respect de la culture démocratique, confrontée à la double attaque du populisme et du cynisme; plus encore, les Irakiens qui subissent le contre-coup direct, par défaut de soutien à la reconstruction, de la destabilisation de l'intervention qui est pratiquement un débat interne à la classe politique occidentale.