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8.9.04

Le prince philosophe

La République tchèque a eu Vaclav Havel, la Suisse a la chance d'avoir Moritz Leuenberger (qui s'est d'ailleurs offert, pour son année présidentielle, une mémorable visite officielle en Suisse du précédent -- en particulier parce que Leuenberber avait choisi le choeur gay masculin de Zurich pour chanter à Havel le grand air de Guillaume Tell de Rossini sur la prairie du Grütli).

Avocat de profession, homme politique qui a su franchir toutes les étapes pour arriver au sommet (élu en 1995 par le parlement comme l'un des deux représentants socialistes au Conseil fédéral de sept membres qui constitue l'exécutif, le collège tenant lieu de chef de l'Etat et chaque conseiller fédéral dirigeant un département ministériel et présidant les séance à tour de rôle pour une année), il est pourtant la rare quintessence d'une culture urbaine raffinée et réfléchie: à la fois l'anti-Bush et l'anti-Chirac! Ses discours sur les sujets les plus divers sont des bijoux ciselés; on les trouve en libre accès sur le site de la Confédération mais ils ont aussi fait l'objet en 2001 d'un (premier?) recueil publié sous le titre original allemand Träume und Traktanden qui aurait à mon avis été mieux rendu par quelque chose comme Rêveries et règlements.

Le dernier (dont j'apprends l'existence par la rubrique Grands mots de Commentaires.com), a été prononcé le 30 août 2004 au 5e Congrès international de l'Association européenne de théologie catholique sur le thème du retour du religieux en politique (la version intégrale originale est en allemand). Quelques extraits:
J’ai grandi dans une famille protestante. Des théologiens venaient souvent partager notre repas de midi. Même s’ils parlaient beaucoup, nous autres enfants, qui n’avions pas droit à la parole, n’avons jamais remarqué de différence entre catholiques et protestants – sauf lorsqu’il s’agissait de boire un verre. A la question: Vous reprendrez bien un peu de vin, les prêtres catholiques répondaient jovialement oui, tandis que les pasteurs protestants déclinaient l’offre, se perdaient en excuses et finissaient par boire quand même, mais avec mauvaise conscience.
Sur le port du voile:
L’une des raisons maintes fois évoquées pour justifier l’interdiction du voile est celle-ci : «Nous les Européens, nous devons bien nous adapter aux mœurs des pays islamiques quand nous y vivons. Nos femmes y portent le voile. Pourquoi n’aurions-nous pas de notre côté le droit d’exiger le respect de certaines règles?»

Mais nous ne sommes pas un Etat théocratique. Notre Etat a voulu instaurer la liberté de religion et il y est parvenu.

Cette liberté peut entrer en conflit avec d’autres libertés, avec les droits de l’homme ou la paix religieuse dans notre pays, et nuire ainsi aux efforts d’intégration. Il faut alors pondérer les différentes valeurs qui sont en jeu. D’abord on se demandera si les femmes portent le voile librement ou si elles y sont forcées par leur père ou leur mari. Si la contrainte est effectivement souvent exercée, ce n’est néanmoins pas toujours le cas. En portant le voile, certaines femmes veulent souligner leur conviction religieuse, comme d’autres portent la kippa ou une coiffe de nonne.

Pour protéger les droits des femmes et des jeunes filles qui portent le voile contre leur volonté, il existe d’autres moyens, plus directs, que l’interdiction du voile à toutes les femmes.
Sur la référence au christianisme dans la Constitution:


Contrairement à la Suisse, l’Union européenne a tranché – au terme de longues discussions – en faveur d’un préambule séculier dans sa Constitution. Cette décision traduit la peur qui subsiste au souvenir des croisades, de l’Inquisition et des procès pour sorcellerie, de la guerre de Trente ans et des persécutions des Huguenots, de l’Holocauste et des guerres civiles à prétexte religieux qui sévissent en Irlande du Nord et dans le sud-est européen. Ces conflits sanglants sont encore si présents dans la mémoire de l’Europe que celle-ci craint le retour d’un esprit qui inciterait à de nouvelles atrocités, et pourrait même se référer à une Constitution.

Mais les questions importantes se posent au moment des décisions quotidiennes et concrètes.

En l’absence d’un ordre moral accepté par les citoyens, les lois ne seraient pas respectées. Aucun Etat libéral ne saurait disposer durablement des moyens nécessaires à l’action de la police et de la justice si ses citoyens n’approuvaient pas foncièrement sa législation (dussent-ils parfois la violer). L’Etat ne peut imposer une éthique. Il lui faut un fondement et un objectif allant au-delà de ce que la loi, les tribunaux et la police sont en mesure de garantir. En somme, l’Etat existe grâce à des présupposés qu’il ne peut pas garantir à lui seul sans remettre en question le fondement de la liberté. Tel est le risque qu’il a pris au nom de la liberté.
Sur l'importance des valeurs spirituelles:

«Un spectre hante l’Europe: le spectre du communisme.» Ainsi s’exprimait le Manifeste du parti communiste en 1848. Ce spectre a encore marqué le concile du Vatican II, où l’Eglise catholique a défini ses rapports avec le monde moderne. Elle l’a fait tout d’abord sous le titre „Luctus et angor – deuil et angoisse“. Mais bientôt les pères conciliaires découvrirent que cela ne permettrait pas de chasser les spectres. Ils ont donc baptisé la constitution pastorale „Gaudium et spes – Joie et espérance“. L’une des thèses-clés dit ceci: „Le destin futur de l’humanité est entre les mains de ceux qui sauront donner aux générations de demain des raisons de vivre et d’espérer."

L’effondrement du socialisme réel ne fut pas seulement la faillite d’un système économique et politique, ce fut le résultat d’un vide spirituel, d’une absence d’orientation, d’une incapacité à se mesurer durablement aux valeurs de liberté et de responsabilité.

Quant à nous, ce sont les valeurs spirituelles émanant de personnes à la fois croyantes et éclairées qui pourront garantir durablement notre liberté face au fondamentalisme aveugle et fanatique.


Il y a encore bien d'autres choses, sur l'islam, le populisme, l'oecuménisme... Comme on dit, lisez tout (et musardez dans la collection: par exemple celui prononcé à l'inauguration du Salon international de l'automobile à Genève, Le soleil, la lune, l'amour et l'automobile).



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