< link rel="DCTERMS.isreplacedby" href="http://swissroll.info/" >

5.9.04

Précocité

Outre la lettre qui a retenu l'attention de Zvezdoliki (à propos d'une annonce de naissance publiée par deux hommes, sans mention de la mère), Le Monde du 2 septembre a publié dans son courrier des lecteurs un récit assez étonnant de Rafaël Lévy, de Montrouge (Hauts-de-Seine): un record de conservation de sperme congelé ayant donné lieu à la naissance de deux bébés 24 ans plus tard.

C'est d'abord la genèse de l'histoire qui m'a frappée:
(E)n juin 1973, un adolescent de 13 ans est atteint d'une maladie de Hodgkin (sorte de cancer des ganglions lymphatiques). Les chances de guérison sont à cette époque modestes. La congélation de sperme humain en est à ses tout débuts, la fécondation in vitro (FIV) semble encore un rêve de savant fou (Louise Brown ne naîtra qu'en 1978). Néanmoins le père du jeune garçon, médecin biologiste, demande au professeur David, pionnier de la conservation du sperme, de congeler le sperme de son fils avant de débuter les traitements de chimiothérapie stérilisants. Ainsi 12 paillettes du sperme du jeune garçon sont congelées en juin 1973 à l'hôpital du Kremlin-Bicêtre, là où le premier Cecos (Centre d'étude et de conservation des oeufs et du sperme humains) ne verra le jour que quelques mois plus tard. Ce don sera enregistré a posteriori comme le don no 000.

J'admire l'ouverture d'esprit, la confiance en l'avenir et le sens de l'anticipation du père, et la forme de courage qu'il lui a fallu pour aborder cette question plutôt que de faire l'impasse dessus (qui ne me paraît déjà pas fréquente chez les médecins avec leurs patients, alors leurs enfants...): à 13 ans (et plus encore dans les années 70) tous les garçons n'ont pas commencé d'éjaculer en se masturbant. Dans certains Etats des Etats-Unis cela lui vaudrait probablement une inculpation pour pédophilie agravée car commise par ascendant! Ou faut-il plutôt dénoncer son obsession de la descendance?
Guéri et stérile à la suite des traitements, le patient tentera avec sa femme deux fécondations in vitro classiques en 1993 et 1995, avec ce sperme congelé. La première tentative aboutira à 2 embryons qui seront réimplantés sans grossesse ultérieure, la seconde tentative sera un échec. Le patient fait alors des démarches auprès du Comité d'éthique français, qui refuse alors [l'injection intracytoplasmique de spermatozoïdes (ICSI)]. Le professeur Jean Bernard, ancien président du Comité d'éthique, et thérapeute en 1973 du patient, intervient efficacement. En novembre 1996, après stimulation et recueil d'ovocytes (docteur Epelboin, hôpital Saint-Vincent-de-Paul à Paris), une ICSI est effectuée avec les dernières paillettes restantes du sperme de 1973 par le professeur Wolff (hôpital Jean-Verdier à Bondy). Cinq embryons sont obtenus, dont trois réimplantés permettant une grossesse gémellaire qui se déroule normalement (docteur Epelboin, hôpital Saint Vincent-de-Paul). Les deux embryons restants non réimplantés étant congelés. La mère accouchera à terme en août 1997 d'un garçon de 2,4 kg et d'une fille de 2,5 kg. Ils sont en parfaite santé, sont scolarisés, savent lire, écrire, compter... On peut cependant leur reprocher de sucer encore leur pouce (ils promettent d'arrêter bientôt).

Et l'auteur de la lettre de conclure, dans cet esprit des Lumières qui ne s'affiche pas assez:
Quelques points méritent d'être soulignés. Tout d'abord, l'extraordinaire ouverture d'esprit des médecins acteurs de cette histoire. Egalement la constatation de ce que les succès médicaux sont d'abord des histoires intimes qui se moquent bien des courants de pensée, des comités, et ne résultent in fine que des colloques singuliers entre patients et médecins. (...) Dans le cas relaté, seule l'évolution des connaissances en biologie de la reproduction et de la conservation du sperme a guidé les décisions prises conjointement entre médecins et patient. Les freins sociaux ou légaux n'ont, heureusement, pesé en aucune manière. Les deux beaux fruits de ces progrès et de la liberté de penser et d'agir remettent utilement en question les ratiocinations névrotiques de notre société, qui se mêle parfois bien inutilement de la vie des autres. Sans emphase inutile la force du (des) vivant(s) est irrépressible.

Indéniablement, la connivence du milieu a joué pour beaucoup dans cette affaire, mais cela n'enlève rien à sa morale. Quand Le Monde reçoit une lettre telle que celle-ci, qu'est-ce qui l'amène à la publier sans autre dans un coin de page, plutôt que d'en faire un grand article?!



<< Home

This page is powered by Blogger. Isn't yours?