22.9.04
Rocard sur l'Europe et le socialisme
Une grande tribune de Michel Rocard dans Le Monde d'aujourd'hui à propos du débat sur la ratification de la Constitution européenne, dramatisé en France par la décision de Laurent Fabius de se prononcer pour le "non". Il y a un bon argument polémique, même s'il est formulé de manière un peu laborieuse (Voter oui c'est voter comme Chirac et Bayrou, mais voter non pour éviter cette compromission c'est voter comme Pasqua et Le Pen, et même, soutient-il, comme Bush le souhaite), un rappel des divisions autrement plus dignes qui ont marqué l'histoire des socialistes français (du refus de se constituer en parti communiste jusqu'à l'opposition aux orientations économiques du Programme commun et du candidat Mitterrand en 1981, en passant par la guerre d'Espagne et les guerres coloniales) et une conclusion au second degré ("Nous maintiendrons", la devise de Guillaume d'Orange).
L'essentiel de l'article, c'est d'expliquer en quoi le refus de la Constitution, loin de permettre une salutaire reprise en main de la construction européenne, serait un dramatique blocage d'une longue évolution, encore loin d'être achevée. Là-dessus Rocard est évidemment convaincant, même si la trame historique qu'il dessine est quelque peu grandiloquente et me laisse sur certains points perplexe. Dans ce style très "Grandes Ecoles" françaises, il assène que, depuis la fin de la deuxième guerre mondiale, trois événements majeurs et distincts se sont produits (comme il se doit depuis Alexandre Dumas, ils sont en réalité quatre avec l'émergence du terrorisme mondial que Rocard mentionne en renonçant à le développer): l'avènement du "village planétaire" sous l'effet de l'évolution vertigineuse des techniques, la construction européenne, et "un changement massif et mondial dans les règles de fonctionnement du capitalisme", sous l'impulsion de Milton Friedman et de l'Ecole de Chicago, qui inspire à Rocard des propos apocalyptiques.
L'opposition, qui est une constante du texte, entre "socialisme" et "capitalisme", présenté comme "un système terriblement efficace, mais socialement cruel et gravement instable" est peut-être populaire auprès des militants (je n'en suis même pas sûr) mais paraît terriblement dépassée. En d'autres temps Rocard avait fort bien su dire que la véritable opposition est entre le marché et l'étatisation (pour s'entendre répondre par Fabius, justement, qu'"entre le Plan et le marché, il y a le socialisme"). Aujourd'hui Rocard semble en revenir à une conception millénariste du socialisme comme un système à construire, dans l'Union européenne de préférence, une nouvelle Jérusalem ("une société solidaire en économie de marché") qui réussirait contrairement à l'URSS, cet autre "socialisme dans un seul pays" qui n'était qu'un capitalisme d'Etat.
S'il faut se représenter une alternative au capitalisme, ne serait-ce pas plutôt une chimère altermondialiste écologiste (éventuellement vert-brune) renonçant, justement, aux instruments intensifs en capital pour miser sur une économie de la proximité, abolissant au passage ce servage qu'est le salariat? Certaines innovations technologiques le permettraient peut-être sans que cela représente un retour à l'âge de la pierre, du vélo à l'iPod en passant par l'éolienne, mais je ne vois pas comment un tel système les aurait produites (en d'autres termes ce n'est envisageable que comme exercice de style destiné à ouvrir l'imagination) et il a surtout une exigence initiale embarrassante: réduire massivement la population humaine sur le territoire considéré ("un seul pays" ou la planète entière). Non, décidément, je préfère une société ouverte fondée sur une économie de marché et un Etat démocratique, dans laquelle une gauche non-messianique a toute sa place.
(Sur le débat gaucho-français autour de la Constitution européenne, Emmanuel de Ceteris Paribus signale deux articles de Libération: l'un qui démolit les six principaux slogans des adversaires de gauche du texte, et l'autre qui rappelle utilement que la partie III du projet n'est que la reprise de textes figurant dans les traités existants que la Constitution abroge et remplace, et qui sont une garantie nécessaire pour les Etat membres s'agissant de délégations de souveraineté à l'Union).
COMPLEMENT DU 24.9: Voir aussi ce billet de Versac, et la discussion dans les commentaires qui suivent.
L'essentiel de l'article, c'est d'expliquer en quoi le refus de la Constitution, loin de permettre une salutaire reprise en main de la construction européenne, serait un dramatique blocage d'une longue évolution, encore loin d'être achevée. Là-dessus Rocard est évidemment convaincant, même si la trame historique qu'il dessine est quelque peu grandiloquente et me laisse sur certains points perplexe. Dans ce style très "Grandes Ecoles" françaises, il assène que, depuis la fin de la deuxième guerre mondiale, trois événements majeurs et distincts se sont produits (comme il se doit depuis Alexandre Dumas, ils sont en réalité quatre avec l'émergence du terrorisme mondial que Rocard mentionne en renonçant à le développer): l'avènement du "village planétaire" sous l'effet de l'évolution vertigineuse des techniques, la construction européenne, et "un changement massif et mondial dans les règles de fonctionnement du capitalisme", sous l'impulsion de Milton Friedman et de l'Ecole de Chicago, qui inspire à Rocard des propos apocalyptiques.
L'opposition, qui est une constante du texte, entre "socialisme" et "capitalisme", présenté comme "un système terriblement efficace, mais socialement cruel et gravement instable" est peut-être populaire auprès des militants (je n'en suis même pas sûr) mais paraît terriblement dépassée. En d'autres temps Rocard avait fort bien su dire que la véritable opposition est entre le marché et l'étatisation (pour s'entendre répondre par Fabius, justement, qu'"entre le Plan et le marché, il y a le socialisme"). Aujourd'hui Rocard semble en revenir à une conception millénariste du socialisme comme un système à construire, dans l'Union européenne de préférence, une nouvelle Jérusalem ("une société solidaire en économie de marché") qui réussirait contrairement à l'URSS, cet autre "socialisme dans un seul pays" qui n'était qu'un capitalisme d'Etat.
S'il faut se représenter une alternative au capitalisme, ne serait-ce pas plutôt une chimère altermondialiste écologiste (éventuellement vert-brune) renonçant, justement, aux instruments intensifs en capital pour miser sur une économie de la proximité, abolissant au passage ce servage qu'est le salariat? Certaines innovations technologiques le permettraient peut-être sans que cela représente un retour à l'âge de la pierre, du vélo à l'iPod en passant par l'éolienne, mais je ne vois pas comment un tel système les aurait produites (en d'autres termes ce n'est envisageable que comme exercice de style destiné à ouvrir l'imagination) et il a surtout une exigence initiale embarrassante: réduire massivement la population humaine sur le territoire considéré ("un seul pays" ou la planète entière). Non, décidément, je préfère une société ouverte fondée sur une économie de marché et un Etat démocratique, dans laquelle une gauche non-messianique a toute sa place.
(Sur le débat gaucho-français autour de la Constitution européenne, Emmanuel de Ceteris Paribus signale deux articles de Libération: l'un qui démolit les six principaux slogans des adversaires de gauche du texte, et l'autre qui rappelle utilement que la partie III du projet n'est que la reprise de textes figurant dans les traités existants que la Constitution abroge et remplace, et qui sont une garantie nécessaire pour les Etat membres s'agissant de délégations de souveraineté à l'Union).
COMPLEMENT DU 24.9: Voir aussi ce billet de Versac, et la discussion dans les commentaires qui suivent.